Casablanca a récemment été le théâtre d’un message fort et unanime de la part des gardiens de la stabilité financière du continent. Lors du Sommet financier africain, quatre gouverneurs de banques centrales ont lancé un appel retentissant : l’Afrique doit désormais se tourner résolument vers ses propres ressources pour financer son développement, et s’affranchir de sa dépendance historique aux capitaux extérieurs. L’avenir économique du continent, ont-ils martelé, repose sur ses propres forces : l’épargne de ses citoyens, la solidité de ses institutions et son formidable potentiel d’innovation.
Finis les Dépôts à Court Terme : Quelle Voie vers une Épargne Durable ?
Jean-Claude Kassi Brou, gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), a mis en lumière un constat préoccupant : les banques africaines s’appuient encore trop massivement sur les dépôts émanant des gouvernements et des grandes entreprises. Il a ainsi encouragé les institutions financières à faire preuve de plus de créativité pour mobiliser des ressources à long terme. Les pistes existent bel et bien, a-t-il souligné : les fonds de pension, les compagnies d’assurance et les capitaux générés par la diaspora africaine représentent des leviers majeurs encore sous-exploités. Mieux encore, les régulateurs se montrent ouverts à l’adaptation des cadres juridiques pour accompagner les banques qui oseront structurer ces financements innovants.
Ce discours trouve un écho frappant dans les chiffres actuels. En Afrique subsaharienne, l’épargne intérieure ne pèse que 16 % du PIB, un chiffre pâle en comparaison de certaines économies asiatiques où elle dépasse les 30 %. Cette réalité limite mécaniquement la marge de manœuvre pour les investissements de longue haleine. Certes, le dynamisme n’est pas absent : en 2021, les actifs bancaires représentaient plus de 40 % du PIB régional. La question cruciale qui se pose désormais est celle de l’utilisation de ces actifs. Sont-ils dirigés vers des projets porteurs de développement productif, ou restent-ils sagement immobilisés dans des dépôts à faible retour sur investissement ?
La Transformation Numérique : Un Accélérateur d’Inclusion et d’Innovation
Au-delà de la mobilisation de l’épargne, les gouverneurs présents ont unanimement souligné le rôle incontournable de la transformation numérique du secteur financier. Manuel Antonio Tiago Dias, gouverneur de la Banque nationale d’Angola, a affirmé que la numérisation est au cœur des prochaines révolutions en matière d’inclusion financière. La banque centrale angolaise, a-t-il détaillé, intègre déjà l’intelligence artificielle dans ses outils de supervision et finalise un cadre réglementaire dédié à la cybersécurité bancaire. L’idée est claire : les banques commerciales ne peuvent attendre passivement que les régulateurs initient le mouvement. Les superviseurs doivent, par conséquent, évoluer au même rythme que l’innovation.
D’autres nations africaines avancent à marche forcée sur ces fronts stratégiques. Le Kenya développe un système de paiement instantané universel, tandis que le Nigeria finalise un cadre d’open banking. Au Congo, le gouverneur André Wameso voit dans les nouvelles technologies une opportunité unique de contourner les modèles industriels traditionnels. Grâce à des solutions comme Starlink, les pays africains n’ont plus à attendre des décennies pour bâtir une infrastructure numérique robuste, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives de développement rapides.
L’Allocation du Crédit à l’Ère des Critères ESG
Michael Atingi-Ego, gouverneur de la Banque d’Ouganda, a quant à lui attiré l’attention sur un enjeu critique : l’allocation du crédit. Il a pointé du doigt l’emprise croissante des gouvernements sur les marchés financiers, au détriment du secteur privé. Dans ce contexte, il a plaidé pour une approche privilégiant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ces principes, a-t-il expliqué, peuvent encourager les banques à soutenir des secteurs fondamentaux tels que l’agriculture ou la production locale, tout en garantissant un impact économique et social positif et durable.
Vers un Système Financier Africain Autonome et Tourné vers l’Avenir
En définitive, tous ces appels résonnent comme une seule et même exigence : construire un système financier africain autonome, inclusif et résolument orienté vers l’avenir. Cela passe par une mobilisation accrue de l’épargne locale, une réorientation stratégique du crédit vers des investissements productifs, et une adoption audacieuse des technologies pour accélérer cette profonde transformation. Ce n’est pas seulement un choix stratégique, mais une nécessité impérieuse si l’Afrique entend maîtriser pleinement son destin économique.